B comme Beethoven ou B comme business : la double vie des pianistes amateurs

Publié le 22 avril 2024 par Vera-Lise Ihm
Superhero at the piano

Imaginez que vous êtes un super-héros, pas du genre à voler dans les cieux avec une cape très chic pour vaincre les méchants, mais un héros de la gestion du temps et de l’amour sans limite pour la musique. Tellement illimité qu’après une longue journée de travail et d’obligations familiales, vous ne vous écroulez pas sur le canapé, mais vous vous asseyez au piano pour répéter. Répéter, et non pas jouer ! Cela vous paraît fou ? Bienvenue dans le monde des pianistes amateurs.

Lorsque l’on essaie de trouver un fil conducteur biographique dans cet univers très diversifié, on peut généralement le décrire comme suit : il était une fois une personne qui jouait du piano, et qui se forma pour exercer un autre métier, puis qui se rappela son amour pour la musique. S’ensuit toujours la même séquence de considérations d’abord rationnelles pour intégrer un peu de piano dans la vie de tous les jours, jusqu’au moment où l’on s’y lance à corps perdu, avec toutes les conséquences que cela implique. Ainsi, de l’idée anodine “je pourrais rejouer” naît une passion sérieuse qui transforme la vie en un jeu d’équilibre entre la salle de conférence et le piano à queue. Il n’est pas nécessaire d’imaginer un tel super-héros avec une cape, mais peut-être avec un costume élégant ou une belle robe de soirée, car ceux qui sont passés par ces différentes phases sont amenés à les porter au moins de temps en temps. C’est dans ces moments-là que les amateurs dévoilent leur double vie et montent sur scène lors de concours internationaux, de festivals ou de concerts.

Ils y rencontrent d’autres personnes du monde entier qui font face aux mêmes défis quotidiens, mais trouvent tout de même le temps de travailler leur instrument. Animés par les mêmes intérêts et l’amour de la musique, ils s’unissent à quelques occasions au cours de l’année. Une célébration. Et ce n’est pas seulement une fête pour les participants. Qu’est-ce que les événements amateurs peuvent apporter de plus que le circuit des concerts professionnels ? Du point de vue de la perfection, rien. La poignée de pianistes professionnels qui ont affiné leur talent tout au long de leur vie offrent une perfection que nous apprécions tous dans les enregistrements et les salles de concert.

Mais la musique classique est plus que le programme d’une grande salle de concert ; c’est une partie vivante de notre société, et sa base la plus large a toujours été le secteur amateur. C’est là qu’elle est vécue activement, qu’elle est préservée et transmise. À l’ère de Spotify et de YouTube, plus personne n’a besoin d’envoyer ses enfants à des cours de piano pour écouter de la musique à la maison. La musique est disponible partout et à tout moment, dans une perfection presque irréelle. Simultanément, cette absence de nécessité de faire de la musique à la maison risque d’entraîner une perte de l’engagement musical vécu. Contrairement à ce qui se passait il y a cent ans, la société d’aujourd’hui n’est pas seulement axée sur la performance, mais aussi sur la comparaison permanente grâce aux technologies de l’information. Ces comparaisons sont souvent difficiles à supporter pour les mélomanes passionnés, car leur motivation est la recherche de la beauté, et il est certain que beaucoup se sont demandé “pourquoi jouer moi-même quand on peut entendre en un clic, en beaucoup mieux, ce que je joue ?”.

Je connais un musicologue qui, jugeant ses compétences au piano insuffisantes par rapport aux œuvres des autres, a fermé définitivement le couvercle de son piano. Une tragédie. Que dirait Beethoven si l’œuvre de sa vie, par respect mal placé, prenait la poussière dans des archives universitaires, jouée uniquement par des pianistes choisis ? Beethoven, qui a dédié nombre de ses sonates à ses amis-amateurs. Que dirait-il s’il savait que des centaines d’années plus tard, malgré Spotify, des gens prennent place au clavier après le travail pour apprendre et partager son œuvre avec d’autres ?

Si l’on s’en tient à la métaphore du super-héros, les pianistes amateurs sont des héros de l’amour de la musique. Ils se remettent en question quotidiennement et travaillent dur pour rendre justice aux œuvres autant que possible. Ils jouent pour eux-mêmes, pour le compositeur et ensuite pour les autres, qui voudront peut-être suivre leurs traces. La prochaine fois que vous entendrez un très bon pianiste amateur, rappelez-vous à quel point son amour de la musique, qui l’a mené devant vous, doit être grand.


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